La prison pour diffamation, un affront à la liberté d’expression ?

Article : La prison pour diffamation, un affront à la liberté d’expression ?
Crédit: Jimmy Chan / Pexels
3 août 2022

La prison pour diffamation, un affront à la liberté d’expression ?

une image qui décrit la liberté et la prison.
Crédit : Fréjus ATTINDOGLO

Dans plusieurs États africains et dans d’autres parties du monde; il est toujours possible de faire de la prison pour avoir diffamé une personne. Au Bénin, au Tchad, au Mali, au Burkina Faso, en Croatie et ailleurs des sanctions pénales pour diffamation existent toujours. Ainsi, des gouvernants continuent d’exploiter les lois pénales en matière de diffamation de façon abusive. Le but est de restreindre le débat public et d’empêcher des critiques. Cette année encore, plusieurs citoyens ont fait la prison pour avoir diffamé.

Pourtant, dans ces États, le droit à la liberté d’expression est reconnu et consacré par des lois notamment les constitutions. Cependant, il est difficile pour certaines personnes et même nos gouvernants de faire le lien entre la notion de diffamation et le concept de la liberté d’expression.

Certes, la diffamation n’est pas un comportement à encourager dans une société démocratique, elle constitue même une limite à la liberté d’expression, mais elle ne devrait pas conduire un citoyen à la privation de sa liberté d’aller et venir. Faire de la prison pour avoir diffamé serait donc un affront à la liberté d’expression.

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La diffamation, un délit de parole ou d’expression

Qu'est-ce que ça veut dire la diffamation ?
Crédit : Fréjus ATTINDOGLO

Selon le lexique des termes juridiques, la diffamation est définie comme toute « allégation ou imputation d’un fait, constitutive d’un délit ou d’une contravention selon son caractère public ou non, qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération d’une personne ou d’un corps constitué. » [1] Cette définition a fait l’unanimité tant dans les textes de loi sur la diffamation que dans la jurisprudence.

De cette définition, on retient que la diffamation peut être publique ou privée. Elle est publique lorsque les propos diffamatoires sont entendus ou lus par un public, c’est-à-dire par des personnes autres que l’auteur et la victime de la diffamation.  Par exemple, si vous proférez à haute voix des propos diffamatoires dans un espace public ou si vous les publiez dans un journal, un magazine, sur internet ; il s’agira d’une diffamation publique. En revanche, elle est privée lorsque les propos diffamatoires sont entendus seulement entre l’auteur et la victime. Par exemple des propos envoyés par messages ; dits par appel téléphonique ou dans une conversation privée.

La liberté d’expression, pierre angulaire des sociétés démocratiques

La liberté d’expression est un principe reconnu et consacré par plusieurs États dans leurs constitutions. Elle se définit comme un droit dont dispose chaque citoyen de s’exprimer ou de dire librement ses opinions sans contrainte. Ce droit est perçu comme l’un des fondements des sociétés démocratiques. Pour certains, c’est la pierre angulaire des États démocratiques.

En effet, la garantie de la liberté d’expression dans une société permet la clarté du débat démocratique. Elle permet aussi aux citoyens de participer à la gouvernance publique par la parole, les critiques et les dénonciations.

« Toute personne a droit à la liberté d’expression ; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix. » [2] Ainsi, la liberté d’expression est un droit humain.

Étant donné que les droits humains sont définis comme des prérogatives que nous avons du simple fait que nous soyons des êtres humains, on conclut alors que le droit à la liberté d’expression n’est pas une faveur accordée au citoyen par les gouvernants, qu’ils peuvent retirer à tout moment. Il s’agit  d’une prérogative consubstantielle à chaque être humain.

Lien entre diffamation et liberté d’expression

Le délit de diffamation constitue l’une des limites au droit des citoyens à la liberté d’expression ; car, la liberté de s’exprimer ne doit pas être un danger pour d’autres citoyens. On ne peut alors se cacher derrière une quelconque liberté d’expression pour salir l’image ou la réputation d’un autre citoyen. C’est pourquoi des lois existent pour sanctionner les comportements comme la diffamation, les injures et la calomnie, etc.

Mais ces comportements répréhensifs sont des infractions qui ne peuvent être commises que par un « moyen d’expression ». On ne peut donc diffamer qu’à partir d’un moyen d’expression.

De plus, telle que l’infraction de diffamation est perçue par les législateurs dans plusieurs pays d’Afrique et même selon la définition du lexique des termes juridiques, il est difficile de conclure une diffamation sans considérer un moyen d’expression que ça soit oral ou écrit. 

Certes, les États doivent se donner les moyens de protéger la réputation des autres et ne pas donner libre champ à des comportements de diffamation; mais il est aussi important de prendre en compte la voie de commission d’une telle infraction pour des sanctions appropriées.

Illégitimité des peines privatives de liberté en matière de diffamation

L’existence ou la menace de sanctions pénales telles que les peines privatives de liberté, des condamnations à de peines de sursis aussi provoque toujours un effet dissuasif sur la liberté d’expression.

En effet, lorsque dans un État, des citoyens sont condamnés régulièrement à des peines de prison pour diffamation, les autres citoyens de peur de subir le même sort se refusent de parler même dans des cas légitimes.

Alors, les gouvernants tout en invoquant la nécessité de protéger la réputation ou les droits d’autrui profitent pour museler le droit à la libre expression. Parfois, on a l’impression que les États refusent d’abolir les lois pénales en matière de diffamation dans le seul but de protéger les fonctionnaires politiques et les politiciens eux-mêmes contre les critiques.

Le principe n’est pas d’encourager l’impunité pour les délits de diffamation. La priorité est de revoir les lois pénales qui conduisent à des peines privatives de liberté. Les États devraient prioriser des sanctions civiles, comme des amendes pour les auteurs de diffamation.


[1] Lexique des termes juridiques 2017-2018, 25éditions

[2] Pacte international relatif aux droits civils et politiques, art 19al2


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